LE SOIRE

BY MICHELE FRICHE

L’opéra de Verdi noyé dans le vide technicolor

A Forest-National, Aïda, l’«operama» de Giuseppe Raffa

Elle est enfin là cette plus grande représentation d’opéra jamais tenue à Bruxelles, au décor tout simplement révolutionnaire ! Une ruées de VIP étiquetés selon leur catégorie a envahi le parterre d’un Forest-National enrubanné de lumières, ils n’auront même pas assez du Prélude d’«Aïda» pour finir de s’installer… Trêve de mauvaise humeur, on allait nous dessiller les yeux, à nous l’élite, les intellectuels, qui nous contentons de mises en scène traditionnelles et poussiéreuses d’opéras qui ont perdu leur charme auprès du grand public ! Pour adapter «Aïda» aux temps modernes, le maestro Giuseppe Raffa, qui a dirigé dans les salles de concert les plus prestigieuses du monde (sans doute scandaleusement ignoré des dictionnaires les plus récents), a mis au point une nouvelle méthode de communication axée sur un des principaux éléments dans un live show, à savoir le spectacle ! Ainsi seulement, l’opéra sera rendu au peuple…

Ce genre de littérature nous la lisons depuis avril dernier dans les communiqués de l’agressive campagne de promotion de Music Hall et le programme de ce jeudi soir n’en est pas avare. Désolé de décevoir le nouveau prophète de l’opéra, mais ce que nous avons vu ressort de la pire convention sans la moindre originalité de mise en scène (pas de trace de metteur en scène à l’affiche) sinon dans la vulgarité des flots de spots rouges, orangés, bleus… dont on cherche toujours la nécessité dramatique ! Il aurait été plus simple de lier lumière et musique de la même façon que dans les dancings. Ce n’était encore rien par rapport au bouquet final qui noie les ultimes notes du duo des amants condamnés dans un laser vert englobant une partie de la salle suivi d’un lâcher de colombes sur les mots «Pace» !

Quant à ce fameux décor révolutionnaire, il consiste en tout et pour tout en un sphinx monumental (12 mètres) surplombant un escalier en deux parties qui séparait ainsi l’aire de jeu en deux paliers. Ajoutez-y quelques palmiers et statues. De ces fameux animaux vivants dont on nous bassinait les oreilles, sachez que vous avez entre trois et quatre minutes pour vous repaître de deux jeunes éléphants dont on a cru bon de peindre certaines parties du corps, deux chameaux, trois chevaux et un bon gros serpent : ils entrent, ils s’arrêtent, vous les applaudissez, et ils repartent. Les 600 figurants recrutés dans la population belge satisfont à leur fonction, appliqués à se positionner. En voudra-t-on aux archers de nous avoir donné le fou rire de la soirée ?

UNE PETITE PORTION D’EST

Cela dit, il est évident que les quelque 70 millions de cette production, s’ils n’ont pas permis de payer les figurants (1), ont au moins soigné le décorum du spectacle y compris les costumes et sans flagrants anachronismes (quoique les collants bleus des danseurs d’Amnéris…) et sur ce plan, cette «Aïda» est effectivement un produit mieux fini que les productions de l’Est dont nous sommes régulièrement abreuvés.

De l’Est, nous en avons eu aussi notre portion, puisque les choeurs et l’orchestre viennent du «Festival de Prague», sans autre explication dans le programme (artistes libres des orchestres de la capitale tchèque ?) Difficile de juger de leur qualité, parce que l’amplification et le mixage ne nous en rendaient qu’une très vague idée, et parce que la baguette de Giuseppe Raffa ne brillait guère par ses intentions ni par sa précision. Nous avons rarement entendu un triomphe et des danses d’«Aïda» aussi vulgaires. Quant à y trouver une conception dramatique cohérente, elle se situerait plutôt du côté d’une revue à numéros… et cette impression, Maestro Raffa l’a superbement assumée en sortant de sa fosse après chaque tableau et en y revenant sous les projecteurs et les applaudissements ! La chorégraphie (Brydon Paige) reste banale sinon ridicule…

Le baume nous viendra des chanteurs, de bonne qualité : Monika Pick Hieronimi (Aïda), Bruna Baglioni (Amnéris), Walter Donati (Amonasro), Nicola Martinucci (Radamès), Vladimir de Kanel (Ramphis), Giancarlo Boldrini (roi d’Egypte). Mais le système de relais sonore utilisé, dit de haute performance, nous laisse bien sceptique, il émousse les éclats, assourdit tristement la voix de ténor (pourquoi ces inégalités ?) et surtout, nous prive d’une émotion directe, la source des voix se dispersant vers le haut de la salle. L’acoustique du Palais des Sports de Liège nous paraît préférable. Enfin, précisons que les choeurs ne jouaient pas, ils étaient assis en costumes de part et d’autre de la scène à l’étage le plus haut.

MICHELE FRICHE